Une très longue période électorale s’achève. Un nouveau Président de la République, un nouveau gouvernement, une nouvelle Assemblée Nationale vont pleinement assumer les responsabilités qui leur ont été confiées par le suffrage universel ou en découlent.
Lors de ces scrutins, les électeurs du Pas-de-Calais ont manifesté d’une manière spécifique leurs attentes. Les résultats ne semblent pas avoir d’équivalents dans les autres départements. Il n’est pas interdit de lire dans les chiffres, les noms et les étiquettes, l’expression d’un profond désarroi et d’un sentiment de douloureuse injustice.
L’ampleur des mutations économiques, technologiques, sociales et éducatives qui ont été demandées aux habitants du Pas-de-Calais depuis des décennies n’a probablement pas été mesurée à sa juste valeur. Les moyens d’accompagnement n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Puis-je humblement faire remarquer que dès 2003, devant des affaiblissements successifs de la capacité d’emploi dans le bassin minier, j’écrivais : « Assez ! »
La première urgence consiste, à mon sens, à raviver l’espérance d’une population, d’entreprendre avec elle et pas seulement pour elle, d’affirmer que l’avenir ne se rêve pas, mais se construit. L’heure est venue de mobiliser et fédérer les personnes, les moyens et les énergies pour ne pas seulement attendre et regretter, mais avancer et réaliser.
L’histoire des guerres, de l’industrialisation, des reconversions, des transformations agricoles a beaucoup demandé aux hommes, aux femmes, aux jeunes du Pas-de-Calais. Il est juste de ne pas rester insensible à l’appel presque désespéré qui est sorti des urnes.
Sur un autre terrain, le nom du département lui-même renvoie immédiatement à la ville de Calais. L’absurdité qui caractérise parfois les relations politiques internationales a fait de cette ville, à son corps défendant, le signe d’une incapacité mondiale à appréhender le phénomène des déplacements des populations et des personnes, à y apporter les solutions adéquates. Il y a fort à parier que cette réalité préoccupera longtemps les gouvernements de la planète. Il leur faudra volonté, courage et audace pour ne pas se résigner à subir le moins mal possible le phénomène, mais à l’affronter et à le gérer.
Rien n’est plus dangereux en ce domaine que le refus du principe de réalité. Les pays, l’Europe, les instances internationales ne peuvent plus remettre à demain un travail concerté sur ces mouvements. Les murs, les forteresses, les barbelés donnent l’illusion de la sécurité et rendent aveugles. Ils ne changent rien. Ils ne peuvent que renforcer les antagonismes et les violences.
De louables efforts ont été entrepris à partir de Calais pour proposer un avenir à des milliers de personnes qui voyaient se briser leur rêve excessif d’un passage en Angleterre et stationnaient sans but réel à Calais. Le flux ne s’est pas tari. La France n’est pas responsable de ce mouvement, mais la géographie et la politique se heurtent au réel.
Les instances internationales doivent résolument se saisir du problème et ne pas le lâcher, car il ne s’agit plus exactement d’un problème, mais de l’histoire des hommes, des femmes et du devenir de l’humanité.
Nous ne pouvons pas nous tromper nous-mêmes en décrétant qu’il n’y a plus rien à voir puisque nous en avons décidé ainsi. Le récent et sévère rapport du Défenseur des Droits indique tout simplement qu’il n’est pas bien difficile de passer de la négation intellectuelle d’une réalité à la négation des personnes qu’elle met en cause. Nous mettons là le doigt dans un engrenage humainement dangereux et inacceptable.
Au début d’une nouvelle étape du parcours commun de notre pays, je souhaite ardemment qu’à tous les niveaux de responsabilité, le dialogue permanent devienne la règle générale et habituelle. Une plus grande maitrise des causes des déplacements des populations et des personnes est indispensable, mêmes si leur approche est souvent conflictuelle.
Plus localement, les conclusions du Défenseur des Droits invitent naturellement au dialogue entre les responsables nationaux, locaux, les associations, les habitants de Calais. La solidarité nationale ne peut pas être absente des débats et des décisions. Les mots des joutes électorales sont derrière nous. La marche de l’humanité demande maintenant des engagements et des actes.
En ouvrant un terrain paroissial, l’Eglise locale donne un signe modeste des dépassements nécessaires. Je m’en réjouis et je l’encourage. Quand un être humain a faim, on ne lui demande pas qui il est et d’où il vient, on commence par lui donner de quoi se nourrir. S’il est en manque d’hygiène et de soins, toutes affaires cessantes, il doit pouvoir se laver, se faire soigner. On ne peut pas aller plus loin sans ces préalables indispensables à la reconnaissance et au respect.
Nous savons par expérience que les plus beaux élans humains peuvent être pervertis par l’exploitation de la misère. Le phénomène n’est pas neuf. La nécessaire lutte contre les profiteurs de la détresse n’exonère pas du service de la personne humaine. Il faut saluer ici la persévérance des associations qui auraient mille raisons de perdre courage et patience.
Où, quand, comment faut-il progresser pour que personne n’ait le sentiment d’être frustré dans ses légitimes aspirations ? Les réponses à ces questions n’appartiennent pas aux appareils. Elles germeront autour d’une table, dans la tête et le cœur d’hommes et de femmes de chair et de sang, non dans les idéologies, les invectives et la puissance des muscles.
Nous sommes toujours prêts à défendre ce que nous pensons être humain dans nos personnes, nos familles, nos groupes, nos pays. Nous n’avons pas tort. Nous ne pouvons pas oublier que ce grand projet est voué à l’échec s’il ne vise pas en même temps l’émergence et la réussite de toute l’humanité.
Vous n’en voudrez pas à un évêque de confier au Bon Pasteur tant de nouveaux élus et d’autres qui poursuivent leur mission. Plus que n’importe quelle déclaration de circonstance, l’Evangile dévoile la vérité de l’être humain si souvent enfouie dans les méandres de l’existence. Puisse-t-il demeure un guide sûr et fidèle !
+ Jean-Paul JAEGER, Lourdes, le 19 juin 2017
Article d’origine sur arras.catholique.fr